vendredi 18 décembre 2009

"Les yeux de Solveig" texte de Marcus...


La tristesse n’était pas le genre de sentiment que j’éprouvais, surtout pas en mission.
Pourtant, j’étais infiniment triste car, intuitivement, je me désespérais déjà de la revoir ici. Gare de l’Est, 27 octobre 1899 au matin, Solveig se tenait sur le quai de départ de l’Orient-Express. Surpris, par sa présence, je m’étais fait discret, attendant de trouver une opportunité pour lui parler.
Solveig Von Ackermann était une jeune femme d’une rare beauté. Issue d’une famille de petite noblesse norvégienne, elle avait épousé en 1890 le Comte Ackermann, personnage en vue à la cour de Vienne. Cela avait changé sa destinée. L’impératrice Elisabeth l’avait en effet remarquée pour sa vivacité d’esprit et avait souhaité l’attacher à son service, comme dame de compagnie. Cela lui prenait beaucoup de son temps, trop sans doute, car les liens avec son mari s’étaient distendus, tout comme ceux de son impératrice avec l’empereur François-Joseph. L’une comme l’autre préféraient les voyages à l’étranger aux pesanteurs mortifères de la cour.
J'avais fait sa connaissance le 9 septembre 1898 à Genève, à l’Hôtel Beau-Rivage où nous avions sympathisé autour d'une tasse de thé. Je l’avais trouvée radieuse. Son sourire, son regard m'avaient ébloui. Nous étions convenus d'un rendez-vous le lendemain soir.
 Hélas, ce 10 septembre, L’impératrice Sissi était assassinée sur le quai par un anarchiste italien… Un rendez-vous manqué et sans suite car dès le lendemain elle regagnait son pays.
Le train avait quitté Strasbourg et franchi la frontière Allemande depuis longtemps. Que venait-elle faire dans ce train ? Que venait-elle faire dans le wagon restaurant pourtant fermé à cette heure avancée de la nuit, seule avec cet homme, cet étrange employé de la compagnie ? Je le pressentais déjà et cela me désespérait.

Immobile dans l’obscurité du corridor, je me suis placé en retrait pour demeurer invisible, gardant l’œil sur eux à travers le vitrage décoré de la porte. Assis à une table côte-à-côte, profitant de l’obscurité complice, ils se rapprochent l’un de l’autre et conversent un bref instant. Puis elle se relève avec une enveloppe qu’elle cherche à dissimuler maladroitement sous son corsage trop bien ajusté. Elle repart dans ma direction, seule.

“Non, pas ça, pas elle !” L'espace d'un instant je suis désemparé mais je me reprends vite pour me dissimuler deux voitures plus loin, en retrait, près d'une porte extérieure. Elle parvient à ma hauteur, je la saisis, la plaque dos contre la porte, ma main sur sa bouche étouffe ses tentatives de crier.
Dans la pénombre de la nuit froide, la lueur des veilleuses se reflète dans ses yeux effrayés… mon autre main enserre sa gorge, quelques secondes encore. C’est fini. Je relâche la pression sur ses carotides et je retiens son corps sans vie qui glisse lentement et sans bruit sur la plate-forme. Je lui arrache l’enveloppe coincée sous son corsage. Il ne reste plus qu’à ouvrir la porte pour laisser choir son corps sur le ballaste. Je referme la porte, regagne mon compartiment… Je descendrai discrètement à Munich. Avant qu'ils ne trouvent son corps, je serai loin.
Ce devait être ma dernière mission au service action du Deuxième Bureau de l'État-major général.
Quinze ans plus tard, l’Orient Express ne traverse plus l'Europe en guerre. Je n’ai jamais raconté cette histoire couverte par le secret.
A-t-elle eu le temps de me reconnaître ? Cette question me hante.
Je revois chaque nuit les yeux de Solveig, je ressens toujours l’empreinte de sa bouche au creux de ma main, la chaleur de sa gorge sur mes doigts qui ont commis l’irréparable et qui gardent à jamais le souvenir fugace de la douceur de sa peau. Demain je conduirai moi-même le régiment que je commande à l'assaut. Il me tarde d'en finir.


Edit des Filles: bien que Marcus n'aie pas exactement suivi les "consignes" nous publions son texte...il y a là, le romantisme, l'intrigue, le désir...tout ce que les Filles que nous sommes aiment! et ce talent de conteur le valait bien!
Merci Monsieur Marcus, l'espion de sa Présipauté.

6 commentaires:

  1. Solveig-Hari... pfiouuu... qui l'eut cru..?et fermer définitivement ses yeux comme cela sur le ballast... quelle triste destinée...
    mais j'adore ce texte... cette ambiance du grand siècle...

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  2. Sous des airs précieux et un style ampoulé, ce texte raconte un meurtre...
    Pas de trou de serrure c'est vrai, mais un texte pas anodin et joliment écrit. Bravo Marcus !
    Coincées derrière leurs écrans, Solveig et Loève attendent un prince ou une princesse, qui les troussent mais uniquement pour leurs plaisirs...
    Ca viendra les Filles, un jour...Besos !
    Jack

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  3. Merci les filles, Merci Messieurs, vous êtes bien indulgents.
    Pour prolonger ce récit et le contexte historique de cette fin du XIXe siècle : Sissi à Beau Rivage.

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  4. Marcus à bien du talent !
    Une histoire terrible... L'orient-express, un meurtre, mon petit doigt me dit qu'une Agata Cristie sommeille en lui !
    Tant pis pour les consignes, si pour une fois elles sortent d'une gare...
    Mais il a respecté l'époque !!!!

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  5. Dans les couloirs de l'Orient, il s'en passe des choses, en express et des plus inattendues ! Mais où était Loève, hein ? Serait-ce une traitresse à la solde du commandant Marcus ? Ou bien n'a-t-elle pu jamais monter dans ce wagon, elle même prise à la gorge par on ne sait quel individu en mission friponne ?
    Oui, 007 était bien le numéro de ce quai.

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  6. Mais où est loève?...Peut être sur le ballaste? Peut être a-t-elle pensé Solveig ? Car, non, Loève n'est pas une traitresse à la solde du commandant Marcus... Loève a un secret...Et il se pourrait bien que Loève dévoile une partie de son secret en répondant au Tag d'el Pirate...il se pourrait bien...

    http://rackhamjack-lerouge.blogspot.com/2009/11/jack-une-medaille.html

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Au plaisir de vous lire!