mercredi 14 octobre 2009

On the road

Elle se laissera apprivoiser avec le temps. Le temps fait l'expérience, l'expérience fait le geste.

Depuis si longtemps que je la regarde, que mon regard la suit quand elle croise ma route, que je sens mon coeur cogner quand j'y pense.

Enfin, elle est là, chez moi.

Je peux la voir, l'admirer, la toucher.

La première fois, je n'ai pas osé. Par peur de son contact, de sa force et de sa douceur, et si elle me tombait dessus?

Et puis, il m'a dit: essaie, vas-y, monte dessus.

Mon corps ne l'a pas fait ployer, elle s'est souplement tassée, m'accueillant largement, toute de rondeur, toute de souplesse.

Et puis nous faisons connaissance, je sens sous mes cuisses sa chaleur, sa puissance. Il a dit: serre les genoux, tu maîtrises avec tes jambes, c'est ton corps qui décide, soit ferme...

Ferme, mais douce

N'empoigne pas, caresse,

Ne saccade pas, laisse toi couler toi, soit souple.

Peu à peu, elle est mon amie, ma liberté.

Avec elle j'irai loin.

Pour de longues chevauchées.

Solveig


mercredi 7 octobre 2009

Eau





Le déluge.

Il assaille mes fenêtres comme il tombe sur ma peau.

La goutte persifle, elle envahit.

L'eau me mouille les pores, elle pénètre mon intérieur.

J'ai envie de mettre le nez dehors.


L'eau qui lave, coule dans mes cheveux.

Elle chatouille mon cuir, elle glisse maligne.

Je suis vêtue de ma chemise de nuit.

Il n'en faut pas plus pour être nue.

La pluie qui colle, qui déshabille.


Je suis un arbre, un nénuphar,

Je reste immobile, les pieds qui s'enracinent.

Je grandis, je croîs, plante vivante.

Éponge, je ferme les yeux,

Larmes qui ne coulent pas,

Néanmoins je pleure du ciel,

Derrière moi, un souffle,

Est ce toi? est ce le vent?

Est ton corps qui s'applique à me tordre?

Ta main qui sèche mes mèches?

Ta bouche qui boit mon eau?


Avide, je puise dans la terre de ton âme,

Tu me donnes vie de ton corps accord,

Trempe la tige dans la rosée qui me brûle,

Verte, je suis,

Jamais fanée,

Je m'alanguis.

En toi, je ploie,

Ronde comme la goutte qui glisse,

Vibrante, sous le ressac,

Je finis par m'étendre,

Comme un lac

Dans ta forêt tropicale,

Comme une brise

Cette fois soumise.

Ta



Solveig



vendredi 2 octobre 2009

Vendanges

J'ai revêtu la chemise et la jupe blanche en lin, amidonnées par les soeurs du couvent de l'abbaye.
Le tissu rêche frottait ma peau, néanmoins, il était si usé qu'il donnait l'impression d'être aussi léger qu'un nuage dans un ciel de beau temps.
Sur mes cheveux torsadés, je posais le carré de toile blanche, qui éviterait un moment que les mèches ne s'échappent, désordonnées.
Le sol en pierre du mas était froid sous mes pieds nus, mais je savais que dehors la chaleur de septembre me réchaufferait vite.
Les villageois étaient venus en nombre en ce dernier jour du ban des vendanges, celui qui nous donnait le droit de récolter les raisins pour en faire ce vin si délicieux.
Les tables nombreuses étaient dressées autour du fouloir, les hommes affairés, préparaient les pichets du vin de l'an passé, les femmes girondes formaient les empilages de mets savoureux sur les nappes blanches qui claquaient au vent.
Plus loin, un animal entier commençait de se faire rôtir, participant des odeurs qui s'élevaient sur le pré du comte.
Nous avions été choisies en raison de notre âge, encore juvénile, j'étais la plus âgée, bénéficiant de l'expérience acquise les années passées.
Je guiderai les pas, je guiderai la danse, avec mes soeurs, les filles du village, aux pieds lisses et blancs.
Nous commençâmes par tremper nos pieds dans l'eau claire mise à disposition près de la petite échelle qui nous permettait d'accéder au fouloir.
La première je gravis les barreaux de bois, pour enjamber la lisse, tenant ma robe d'une main, le rebord de l'autre.
Les grappes s'enfoncèrent sous mes pieds, les raisins éclatant sous mon poids, éclaboussant de jus rouge mes chevilles encore vierges du sang de la terre.
J'aidais une autre fille à me rejoindre, lui tenant la main fermement, pour qu'elle ne glisse pas.
Nous fûmes bientôt cinq, en rond, prêtes à fouler le nectar Dyonisien.
Quelques musiciens s'étaient placés en bas de la cuve, leurs instruments sur les genoux, d'autres hommes se tenant par la taille commencèrent à entonner un chant venu des âges lointains, une mélopée saccadée, qui donnerait le rythme de la danse.
L'une après l'autre nous avons levé un genou puis l'autre, la plante de nos pieds écrasant la peau des fruits, laissant la pulpe s'échapper doucement. Toutes, avions relevé nos jupes, prenant le bas que nous glissions à notre ceinture, laissant apparaître chevilles et genoux, peaux blanches et mollets musclés.
Nous étions enjouées, riant des gouttes qui explosaient sans que l'on sache qui en serait la cible. En peu de temps nous fûmes comme chaussées de bottes rouges, les grains de raisins glissant entre nos orteils, la sensation de chatouille se mêlant à celle de la chaleur de l'effort.
Le rythme étant pris, nous laissâmes travailler nos jambes alors que la musique entrait dans nos oreilles, comme une voix qui nous guidait plus loin, laissant nos réflexions se mener à terme, ou nos esprits se vider des choses de la vie.
Mécaniquement, je sentais mes muscles se durcir, s'échauffer, entraînés par une transe quasi euphorique.
Sans doute que le moût déjà formé participait de cet état de gaieté, ou bien était ce encore qu'habituée à ce rite mon corps obéissait à son propre plaisir, celui du mouvement cadencé, comme préliminaire à l'ivresse.
En bas du fouloir, la fête battait son plein, hommes et femmes tournant autour de nous en ronde chantante, accompagnant de leur danse la formation d'un vin que l'on espérait toujours meilleur.
J'étais recouverte de ce jus rouge qui devenait noir à force d'imbiber la toile de mes vêtements, mes cheveux se défaisaient de la coiffe, ma peau était glissante, brillante, on pouvait croire que je sortais d'un bain d'eau teintée, je fermais les yeux à la lumière trop forte du soleil de midi, je me sentais belle, je me sentais forte, je me sentais ivre de bonheur.
Mes soeurs elles aussi se laissaient porter par l'instant, pas encore lasses, déliées dans leurs mouvements, arabesques blanches et pures, emportées par le mouvement tourbillonnant du vent, leurs pieds sautillants, foulant le fruit gorgé de suc.
Nous avons fini de danser, étourdies, fatiguées, enlacées les unes dans les bras des autres, prêtes à nous effondrer en pyramide de bras et de jambes rouges, de drap froissé lie de vin, de cheveux se mêlant aux rafles du raisin noir, gourmandes, la pulpe à la bouche, enivrées de ce vin pas encore bon à boire, juste à s'en lécher les lèvres d'avance, juste à s'en étourdir de plaisir.

Solveig.