jeudi 10 décembre 2009

Cliché.


Le nu Provencal, Willy Ronis.

Ce matin, j'ai trouvé dans ma boite aux lettres, ce cliché, pris il y a tant d'années, par un autre homme pour une autre femme, mais c'était mon histoire qui s'y trouvait..
Cet épisode surtout.
L'homme qui partageait ma vie, avait sur le monde une vision pragmatique: l'été, c'était les vacances, les vacances sont faites pour se reposer.
Ainsi donc, le matin, il posait sur les draps blancs de notre matelas à même le sol, une tasse de café fumant, avec quelques tranches de pain, grillées à la flamme du réchaud. La confiture était celle de la voisine, et le beurre venait de la ferme en bas de la sente qui menait à la rivière.
Nous venions de finir le café. J'avais remonté les draps sur ma poitrine dénudée, puisque c'est ainsi que nous faisions alors, marcher, dormir, lire, vivre, nus, seuls, sans le regard des autres, juste lui et moi.
Ma peau avait naturellement bronzé, j'étais brune comme un pain d'épices en plein été, et lui, ses jambes longues de marcheur de montagne, infatigable, et ses  bras entraînés à couper le bois pour le feu du soir...magnifique spécimen masculin.
Le drap blanc tranchait ma peau, mon bras le long de ma jambe, comme un serpent, et mes yeux fixant l'homme à mes côtés. Ainsi qu'à son habitude, il avait posé ses lunettes sur son front haut, me regardait de son regard un peu myope, je me disais qu'ainsi, les détails de ma peau devaient lui paraître plus flous, plus doux, comme un voile, la brume du matin sur mes collines.
Alors, comme indépendantes de sa volonté, ses mains se glissaient sous le tissu rèche, froissé de nos ébats précédents et de ne pas faire son lit de la journée, ses doigts franchissaient les obstacles, ma main qui le retenait pour l'agacer ou bien un morceau de toile récalcitrant retenu entre mes genoux bien serrés.
Je le faisais lutter, je lui rappelais sa condition de chasseur, l'affût, l'attente, la course, l'impatience...alors que devant lui, sa proie se faisait une fois proche une fois lointaine.
Le café était un lointain souvenir quand je le laissais enfin croire à sa victoire.
D'un geste ample je jetais loin de nous ce drap trop joueur, je me mettais debout pour qu'il admire encore la fierté de sa proie, qu'il ne croie jamais qu'un jour elle lui serait acquise, non, j'étais bien trop fière et trop sauvage pour me laisser totalement apprivoiser.
Il s'arrêtait dans sa course folle, brillant de l'effort, échauffé encore, et me regardait, stoïque, amusé, point résolu, non jamais, à laisser s'échapper la biche.
Un grand rire nous secouait alors, brisant nos dernières forces, et toute notre volonté de faire semblant de se resister.
Comme deux jeunes cerfs luttant pour la place de chef de clan, face à face nous nous confrontions dans un corps à corps glissant, avant de tomber au sol, sans vainqueur ni vaincu(e)s.
Cette photo, nous avons la même dans notre mémoire...
Après la bataille, qui nous avait laissés repus et satisfaits, je me suis dirigée vers la vasque dans laquelle j'ai versé l'eau du pichet.
Et, penchant la tête, j'ai porté à mon visage la fraîcheur des sous bois, la source claire d'une journée parfaite.

Juste un hommage léger à ce grand photographe...
Solveig


Juste pour que vous n'oubliiez pas, que la date d'arrivée du train de l'Orient Express se rapproche, une semaine de voyage, qui se termine sur le quai le 15 à minuit...
Vos contributions à l'adresse de l'antichambre: lhantichambre@gmail.com

8 commentaires:

  1. Belle photo et très belle écriture. En noir et blanc, crepi, soleil, sueurs, coton froissé, pierres, terre ( ferme et vacillante) et eaux.

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  2. ce très cher M. Ronis que j'adorais tant... je comprends mieux maintenant pourquoi... j'adoreeeee... le pain d'épices.... miammm...

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  3. tu sais que j'adoree le pain d'épices.... miammm....

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  4. Oui...Solveig...mon Amie...vous avez raison... je me souviens aussi... "et lui, ses jambes longues de marcheur de montagne, infatigable, et ses bras entraînés à couper le bois pour le feu du soir...magnifique spécimen masculin." ...

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  5. Pauline: merci! la terre vacillante d'Hemingway dans un roman dont j'ai oublié le nom tout à coup, mais cette phrase me revient, ou ce moment, quand il font l'amour et qu'il sent la terre trembler...j'avais adoré, merci de me le rappeler.
    Non, Charles, je ne savais pas...mais ça tombe bien, alors..?
    Loève, amoureuse, de l'Homme...qui marche ;-)

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  6. Voici un petit po-aime, ma légère contribution en avant-première (classe) de votre voyage en train !

    De bas en Elles
    Ces demoiselles que font elles
    Au fil de leurs chevilles
    En frisson lents
    Non, point d'express ni d'Orient
    En hauts d'Elles
    Tout le temps.

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  7. oh ! Oubli !
    Il manque un S à ces frissonS lentS.
    Mais bien sûrS !!!
    Où avais je la tête, hein ? je vous le demande !
    En bas ou en haut, où était-elle !!? Pfffff...tss tss...

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  8. Ella..très classe et j'aime...d'est en ouest, l'orient est exotique, j'en frémis tous de vous lire!

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Au plaisir de vous lire!