(crédit photos: David Rombeau)
J'étais partie de chez moi une dizaine de jours pensais-je. Besoin de me ressourcer, de m'éloigner de l'air étouffant du quotidien, besoin de grands espaces et d'air pur.
La petite maison de montagne où je
Le rencontrais encore parfois était trop perdue au milieu des neiges, inaccessible sauf en chasse neige, et vraiment je ne voulais déranger personne, autant par discrétion que par envie de ne rien dire sur mon adresse temporaire.
Je pris donc un billet d'avion vers l'Italie, où même les températures négatives sont chaudes, une histoire de couleurs et de lumières sans doute.
Firenze, n'était pas trop loin du gîte que je louais pour l'occasion, niché dans les collines douces de Toscane.
Dans le dénuement que j'avais choisi, le confort était minime. Je devais couper mon petit bois, faire chauffer l'eau si je souhaitais me laver dans le luxe, et le courant était alternatif, sans mauvais jeu de mot.
La seule personne à qui je confiais mon numéro de téléphone était celle-là même qui ne pourrait me rejoindre, du fait de ses obligations familiales.
Nous nous aimions à distance, cela était plus raisonnable.
La maison, en pierre ocre, au toit de tuile, se composait d'une grande pièce à vivre et d'une chambre. J'avais cinq kilomètres à parcourir en vélo ou à pied pour rejoindre Florence, balade quotidienne, qui elle seule me faisait sortir du lit.
J'aimais cette terre passionnément. Envoûtée par la langue, charmée par le paysage, je ne connaissais pas ses habitants. Une femme seule intriguait, dans le pays où la famille est un credo, mais si on me regardait avec curiosité, la volubilité ne faisait pas défaut. Assaillie au marché par les sons colorés, par les senteurs des légumes et des fruits, je restais souvent béate d'admiration devant le talent culinaire le plus simple, assaisonner une tartine de pain encore tiède à l'aïl et l'huile d'olive, avec un fromage de chèvre des plus frais ou bien d'une tranche de prosciutto dont on voit rarement la vraie couleur sous nos latitudes...n'ayant jamais eu besoin de faire quelque régime que ce soit, j'adorais goûter toutes ces saveurs qui me ramenaient guillerette à la maison, une bonne bouteille de "Brunello di Montalcino" les jours que je marquais d'une fête, juste parce que j'avais croisé une jolie fleur sur le chemin, ou un "Sangiovese", pour le verre plaisir du soir, celui qui se boit, assise devant la cheminée avec un bon livre à défaut de Sa compagnie.
Un jour, je rentrais sur la route sinueuse, promeneuse solitaire, une silhouette vint à ma rencontre, débouchant sans doute d'un des nombreux sentiers que je croisais.
De loin, il était grand, mince, il ressemblait...à celui que j'aurais pu attendre, mais qui ne viendrait pas. Quoique. Mon coeur battait la chamade, serait-il possible?
Devenues coton, mes jambes ne me portaient plus, je m'arrêtais sur le côté de la route, cherchant en vain un arbre sur lequel m'appuyer ou derrière lequel me dissimuler.
Je ne voulais pas que ce soit lui, non, je n'étais pas prête, il faudrait se séparer ensuite et cela je ne le pouvais plus, ne pas le revoir pour ne pas le quitter, c'est ce que j'avais décidé.
Il arrivait à ma hauteur, un regard amusé, intrigué et dans un bel italien que je ne comprenais qu'à demi mot, il se proposa de porter mon panier, sans doute à cause de la défaillance dont il venait d'être témoin.
J'étais tétanisée. Ce n'était pas Lui, mais son frère jumeau. Il n'avait pas de frère bien sûr, mais vraiment la nature peut jouer des tours, je l'appris à cet instant précis.
Je bafouillais rougissante, un "Si, grazie" et le suivi, presque à son bras.
Il avait la démarche souple, le bras fort, et sa voix douce chantait son pays à mon oreille.
Il avoua enfin, que le gîte était celui de sa grand mère, il avait voulu rencontrer "i francesi" parce qu'il avait vécu à Paris petit.
Je n'eus pas besoin de l'inviter, au fond il était chez lui, et il me montra comment me servir de la cafetière, celle qui était cachée dans un recoin de la cheminée, et que j'avais prise pour un objet de décoration.
J'ai aimé le voir moudre le café, comme s'il transmettait un savoir et je le regardais, encore sous le choc.
Ce premier après midi, nous n'avons pas beaucoup parlé. Je devinais qu'il voulait en dire plus, mais qu'il fallait d'abord que je fasse mes preuves. Mes preuves de patience, de découvertes, d'imprégnation des lieux. Là seulement il pourrait me désigner les choses, le paysage, les gens et me raconter leur histoire...Et là seulement, je le comprendrai.
Sa présence me chatouillait, j'avais des envies d'embrassades, comme celle de me lever soudain pour regarder par la baie vitrée, le jardin empli de roses.
Il m'avait réveillée, je sentais mon sang s'échauffer, l'hibernation se terminait, il me fallait un contact humain, qui passait par la voix, les yeux, la peau.
Cosimo m'ouvrait la porte d'un pays que je cherchais depuis longtemps sans l'avoir trouvé...je n'étais sans doute pas prête avant, mais à présent que j'ouvrais les yeux, il me fallait tout prendre, tout voir, tout tenter, vivre et en jouir, chaque jour comme s'il était le dernier. Dolce Vita?
C'est ainsi que commença notre histoire.
Ta.
Solveig.